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Comment, en tant que fonctionnaire de France-Télécom intéressé par l'histoire de l'Administration des Télécommunications, ne pas citer en exemple au moins un des innombrables agents des Postes Télégraphes Téléphones morts pour la France ?
Aussi, me suis-je partiellement et librement inspiré du livre : Les mystères de la Source K écrit par Roger Rouxel, édité par Les dossiers d'Aquitaine en 2004 ; pour réaliser une courte synthèse factuelle, le tout complété par des documents historiques des Archives du Groupe Orange, dont moult éléments du Dossier de Personnel de Robert Keller retrouvé par un confrère. L'on ne comprend que mieux le sacrifice de cet homme dans une époque si troublée.
Ci-dessus : M. l'Ingénieur des Travaux du Service des Lignes Souterraines Grande Distance - Robert Keller.
Photographie d'identité - circa 1940 - Coll. Orange DANP
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C'est en 1927, le 1er octobre, que Robert Keller entre dans l'Administration des PTT en tant que Mécanicien Stagiaire, et qu'il est affecté aux cours dispensés des PTT, à cet effet. Au niveau scolaire, Robert Keller est titulaire du Brevet Élémentaire, Certificat Primaire Supérieur...
En 1928, le 16 février, Robert Keller est nommé agent mécanicien des Lignes Souterraines à Grande Distance (décret du 23 février 1928). Il est 54ème sur la liste d'admission.
En 1939, le 2 septembre, Robert Keller est mobilisé sous le grade de lieutenant dans la Télégraphie Militaire.
Ci-dessus : Identité Militaire de Robert Keller, mobilisé dès la déclaration de guerre.
Photographie X - 4 octobre 1939 - Coll. Orange DANP
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Lors de l'effondrement de la France en Mai 1940, la conduite héroïque de Robert Keller à Péronne, lorsqu'il refuse d'abandonner son équipe coincée du mauvais d'un pont bombardé, faisant marche arrière pour secourir ses hommes, les sauvera tous de l'envahisseur, et lui vaudra la Croix de Guerre en conséquence.
Dès l’Armistice de 1940, un pacte se noue alors entre l’État-major de l’Armée et l’Administration des P.T.T pour camoufler au sein de la Direction des Télécommunications l’ensemble des Services d’Études et d’Exploitation de la Télégraphie militaire.
En 1940, le 17 juillet, Robert Keller est démobilisé (après l'effondrement, de la France, de la IIIè République rongée de l'intérieur depuis maintes années - depuis au moins l'affaire des décorations de l'époque peu glorieuse du Président de la République Jules Grévy, qui donnait le pli vicié à venir...)). Robert Keller avait été remobilisé le 2 septembre 1939.
Dès 1941, le Service des Renseignements (S.R) via le Commandant Léon Simoneau, agissant au nez et à la barbe de l’occupant, demande au Capitaine Edmond Combaux, polytechnicien et « Sup-Elec », qui avait appartenu au Génie-Transmissions et qui avait été recasé dans les PTT à la Direction des recherches techniques, d’étudier les possibilités que pourrait offrir son nouveau poste pour l’écoute des communications téléphoniques des autorités allemandes d’occupation. Ces écoutes pouvaient en effet constituer une source de valeur considérable, mais d’exploitation très délicate, car les interceptions risquaient d’être détectées si elles n’étaient pas parfaitement effectuées. Toute erreur de câblage ou toute baisse significative de l’isolement des câbles était interdite sous peine de découverte et de mort certaine.
En Septembre 1941, dans son bureau du 24, rue du Général Bertrand à Paris (mitoyen du Centre Téléphonique et Télégraphique Saxe-Ségur), René Sueur, Ingénieur des Travaux affecté à la Direction des Recherches et du Contrôle Technique des PTT, présente au Capitaine Edmond Combaux l’Ingénieur des Travaux des PTT - Robert Keller, spécialiste des câbles : un homme grand, aux épaules d’Hercule, des mains de travailleur. Une chevelure blonde dont les mèches s’élèvent au-dessus du front comme des langues de feu, un visage finement ciselé qui porte toutes les marques d’une indomptable énergie, des yeux calmes et rieurs qui rayonnent d’intelligence, de bonté et de droiture.
Robert Keller déclare disposer d’une équipe sur laquelle il peut compter, prête à braver tous les dangers pourvu que cela soit contre l’ennemi et pour la France :
Tous trois l’ont suivi et assisté au cours de la première campagne de France de Mai à Juin 1940. Ils seraient donc encore auprès de lui, devant un danger considérablement accru, et avec la même fidélité.
Ci-dessus : affichette type apposée dans l'ensemble des locaux PTT sur ordre de l'occupant allemand pendant l'occupation.
circa 1942 - Collection Orange DANP
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M. Robert Keller, Ingénieur des Travaux à la Direction des Lignes Souterraines Grande Distance (promotion 1931), supervise le contrôle technique du câble souterrain Paris-Metz-Berlin, à l’usage exclusif des autorités allemandes. C’est donc sur lui que repose le succès ou l’échec de l’entreprise, lui seul étant capable de réaliser l’essentiel, d’accomplir ce tour de force incroyable que représentait le travail sur ce câble. Il a, plus que tout autre, des raisons d’hésiter en songeant à sa femme et à ses quatre enfants (nés le 12 août 1922 - Michel ; 23 mai 1925 - Jeanine ; 17 février 1928, 2 août 1930 - Jacques) ; ce qui pourrait justifier son refus de participer à cette périlleuse aventure qui lui ferait encourir, en raison même de ses fonctions, les risques les plus graves. Au contraire, il accepte et accomplit avec résolution le premier pas sur la route fatale qui le mènera au supplice. Il choisit instinctivement d’obéir à l’appel de la nation, étant issu d’une famille alsacienne repliée depuis l’annexion inacceptable de 1871.
Malheureusement, à Paris, le Centre Interurbain de Saint-Amand constitue une forteresse inattaquable (enterré et protégé en béton armé, à 20 mètres sous terre, toutes issues gardées par des sentinelles aussi bien en surface qu’en sous-sol au débouché des galeries empruntées par les câbles). De plus, dans chacune des stations de répéteurs, des techniciens allemands surveillent les moindres gestes du seul vérificateur français en poste, et un sonderführer local était seul à pouvoir autoriser la moindre activité, le moindre chantier sur n'importe quel circuit de transmission...
Mais l’écoute s’avère possible à condition qu’un appareil d’interception compensant les pertes de courant puisse être installé sur un point du parcours et soit servi par des opérateurs très qualifiés.
M. l'Ingénieur en Chef des Transmissions des PTT - René Sueur conçoit des amplificateurs spéciaux à grande impédance d’entrée pouvant être insérés sur les circuits sans être décelés par les stations de mesure des allemands. Le Capitaine Edmond Combaux constate que le câble, qui utilise l’itinéraire de la Route Nationale 3, passe à proximité de pavillons près de Noisy-le-Grand. Un pavillon situé à moins de six mètres de la ligne, et pourvu d’un sous-sol est en conséquence loué.
Entre-temps, l’appareil d'interception est réalisé en pièces détachées dans divers établissements de la zone libre grâce à l’aide de M. Myron Lebedinsky de la Société Anonyme des Télécommunications (SAT), selon les instructions données par M. l'Ingénieur en Chef des Transmissions des PTT - René Sueur.
Il reste à recruter des opérateurs sûrs. Outre une parfaite connaissance de la langue allemande, ils doivent posséder celle de la sténographie, être au courant de l’organisation de la Wehrmacht, de son ordre de bataille, ainsi que des structures et du fonctionnement du III° Reich. Le hasard fait que le sergent-chef alsacien Édouard Jung se présente au Commandant Léon Simoneau, qui avait été avant la guerre son commandant de compagnie. La mission lui est donc proposée, sans que soient cachés les risques terribles qu’elle implique pour sa vie. Il l’accepte aussitôt.
En 1942, au mois de mars, pourvu de pièces d’identité délivrées « authentiquement », Édouard Jung s’installe à Noisy-le-Grand dans un pavillon de banlieue loué pour l'opération, avec pour couverture un emploi fictif d’agent d’assurances fourni par Gérard Grimpel, Secrétaire Général de la compagnie d’assurance « La Nationale » et son adjoint Lionel Levavasseur.
L’équipe PTT, composée d’hommes absolument sûrs, comprend donc, outre le Capitaine Edmond Combaux et Robert Keller : Georges Lobreau, Robert Keller et René Sueur, ainsi que deux chefs d’équipe spécialistes des lignes téléphoniques souterraines à grande distance : Laurent Matheron et Pierre Guillou.
Le service d'exploitation des Liaisons Souterraines Grande Distance va tenir une place stratégique dans la mise en place de l'écoute des câbles.
Le 15 septembre 1942, des rumeurs commencent à courir dans les environs de Noisy-le-Grand, au sujet du pavillon et de l'équipe. Ces commérages de comptoirs de bar les accusent d'être de la cinquième colonne, pro-allemands !
Il est dans la foulée décidé de créer une nouvelle installation sur le câble Paris-Strasbourg. En effet, l'occasion inespérée se présente rapidement : Le 15 novembre 1942, les allemands convoquent Robert Keller et ordonnent à l'Administration des PTT de gros travaux de dérivation du câble Paris-Strasbourg vers leur Poste de Commandement, basé à Saint-Germain-en-Laye.
Malgré les risques, l'occasion est trop belle, et l'équipe décide de relever le défi. L'opération s’annonce plus fructueuse encore que la première, car le câble Paris-Strasbourg comprend un bien plus grand nombre de circuits (320).
Les cadres britanniques de l'Intelligence Service reconnurent qu'ils ne connaissaient pas, dans toute l'histoire des services secrets, un épisode plus extraordinaire et inexplicable que celui qui marqua la soudaine apparition et la disparition brutale de cette source mystérieuse qui avait, pendant si longtemps, fait tant de mal à l'ennemi.
Malheureusement, suite à une lettre anonyme de dénonciation (sur 5 millions en France) adressée à la police française en Décembre 1942 puis transmise aux autorités allemandes d’occupation par René Bousquet, chef de la police de Vichy, l’ensemble de la Source K est démantelé.
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Avec l'arrestation de MM. Robert Keller, Georges Lobreau, Laurent Matheron et Pierre Guillou, les versements de l'intégralité de leur traitement respectif sont immédiatement suspendus.
Ainsi donc, les quatre épouses se retrouvent-elles sans aucune ressource, à devoir élever seules des enfants en bas âge.
C'est là que Georges Clavaud, qui est au courant des activités de Robert Keller (ils sont affectés dans le même bureau au 24, rue du Général Bertrand et se connaissent) décide de créer un système de cagnotte afin de continuer à verser l'intégralité du traitement aux épouses. Comme il le confiera une cinquantaine d'années plus tard, ce sera là son premier acte de résistance face à l'oppression.
Dès que son supérieur Lucien Aguillon l'apprend, il le lui interdit formellement, sous peine d'être en danger permanent d'être arrêté par la Gestapo. Mais Georges Clavaud passe outre et organise avec sa secrétaire un système discret de collecte de fonds où tous les effectifs des LGD du simple agent aux ingénieurs vont cotiser chaque mois y compris M. Lucien Aguillon, ainsi que certaines personnes des sociétés privées du groupe Philips (notamment la S.A.T), et ainsi pourront percevoir jusqu'à la fin de la guerre l'équivalent de l'intégralité du traitement...
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Concernant Robert Keller, il sera procédé par le GPRF dès 1944 à une reconstitution de carrière (sans savoir, dans un premier temps, si Robert Keller est alors encore vivant).
Pour le transfert aux Archives Nationales de France de son Dossier de Personnel, voici le Résumé d'Activités de M. l'Ingénieur Robert Keller (8 mai 1899 - 14 avril 1945) qui fut ainsi rédigé :
Il convient de préciser que M. Robert Keller n'a évidemment pas été le seul Résistant des PTT qui ait payé de sa vie son amour pour la France et pour une France Libérée. Bien d'autres ont payé de leur vie leur engagement. Son sacrifice rappelle celui de tous les autres et de toutes les autres : il convient de rappeler que des femmes ont aussi payé de leur vie leur engagement.
Ci-contre : M. Georges Lobreau en ses bureaux, 27 ans après sa libération des camps.
Photographie PTT - Juin 1972 - Coll. Orange DANP.
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Le calvaire de Mlle Simone Michel-Lévy est également emblématique et doit être signalé ; les photographies des commémorations dans les années cinquante en présence de sa pauvre vieille maman complètement meurtrie donnent vraiment envie de pleurer.
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Ci-dessus : Centre Téléphonique Robert Keller, à Paris.
Photographie C. R-V. - 29 janvier 2022 - Coll. C. R-V./Orange DANP.
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Ci-dessus : enveloppe premier jour Robert Keller et la Source K - 18 mai 1957
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Extrait de la Revue des Télécommunications du Réseau National n°24 - Décembre 1984 - Coll. C. R-V.
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Ci-dessus : M. le Ministre des PTT - Louis Mexandeau inaugure, au siège de la DOTRN, à Montrouge, le Mémorial Robert Keller - Laurent Matheron - Pierre Guillou, Martyrs de la Résistance, à l'occasion des 40 ans du début de la Libération.
Photographies PTT - 12 juin 1984 - Coll. Orange DANP.
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Ci-dessus : recueillement devant le Mémorial Robert Keller - Laurent Matheron - Pierre Guillou après avoir été dévoilé.
Photographie PTT - 12 juin 1984 - Coll. Orange DANP.
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Ci-dessus : visite par M. le Ministre des PTT - Louis Mexandeau, de l'exposition Résistance & LGD, dans les murs de la nouvelle DOTRN de Paris (à Montrouge).
Photographies PTT - 12 juin 1984 - Coll. Orange DANP.
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Photographie : C. R-V
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Nota :
Il convient de signaler que les deux câbles Longue Distance historiques ayant été dérivés et mis sur écoute par la Source K sont :
- page mise à jour le 26 mai 2023 -